Une dynamique de conversion à l'agriculture biologique
Fabrice Briand, agriculteur sur cent cinquante hectares à Marigny dans les Deux-Sèvres (79), a été l’un des premiers à se lancer dans une démarche de conversion à l’agriculture biologique sur l’aire d’alimentation des captages d'eau potable de la vallée de la Courance. En 10 ans, la superficie en agriculture biologique atteint 23 % de la surface agricole utile de cette aire d'alimentation d'une superficie de 15 000 hectares. Retour d’expérience sur 10 années d’agriculture biologique...
Des aides à la conversion et un accompagnement incitatifs
Fabrice Briand
© Agence de l'eau Loire-Bretagne
Je démarre ma conversion en même temps que trois agriculteurs voisins en 2010. Dans un premier temps Olivier, animateur du syndicat d'eau potable de la vallée de la Courance, nous propose de nous engager dans des mesures agro-environnementales terrirorialisées pour réduire de 40 % l’usage des phytosanitaires sur l’aire d’alimentation des captages d'eau potable cette vallée. Il nous sensibilise aussi à l’agriculture biologique. Depuis, les animateurs du service des eaux continuent à nous accompagner.
En voyant les grands sacs de bidons vides s’entasser dans la cour, je me rends compte du volume de produits phytosanitaires utilisés pour les cultures. Jusque-là je m’occupais plus du troupeau laitier que du pulvérisateur. Suite à une formation, je prends conscience du danger des phytosanitaires.
Nous faisons le choix, avec mes trois voisins, de partir ensemble dans la conversion en agriculture biologique. Tout seul cela aurait été compliqué car j'avais besoin d'échanges.
Mon objectif est de réduire de 100 % le volume des produits phytosanitaires de synthèse et des engrais minéraux utilisés. L'aide à la conversion, environ 330 euros par hectare pour une durée de cinq ans à partir de 2010, est l’opportunité d’essayer un nouveau modèle, et un encouragement à prendre un risque.
Nous avons eu l’appui d’une coopérative voisine, la CAVAC, qui avait déjà de l’expérience en agriculture biologique. Elle a aujourd’hui un point de collecte bio sur ma commune de Marigny.
De l’élevage aux grandes cultures en bio
La mise aux normes des installations d’élevage m’a poussé à arrêter, fin 2009, l’élevage des vaches laitières sur mon exploitation. La situation me contraignait à déménager le site avec un projet trop coûteux. J’ai regroupé mon troupeau sur un autre élevage pendant cinq ans et, en 2015, j’ai décidé d’arrêter l’élevage des vaches. Entre temps j’avais converti mon exploitation en agriculture biologique
Je gère deux exploitations de grandes cultures en agriculture biologique : la mienne et une autre, similaire, à quelques km de chez moi, en prestation de service pour un tiers. Mon assolement se répartit en 40 % de blé meunier panifiable, 40% en cultures de printemps (cameline, lentille, lin, tournesol et maïs) et 20 % en luzerne. Les surfaces en luzerne sont engagées pour 5 ans avec le centre national de la recherche scientifique (CNRS) via le dispositif des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec). Les luzernes sont gérées avec retard de fauche pour protéger l'avifaune de plaine et en particulier l'outarde canepetière. Pour la commercialisation, les contrats pluriannuels avec ma coopérative me garantissent un prix de vente. Ce système en agriculture biologique me donne de la sécurité malgré des rendements divisés par deux.
Je dispose de 40 000 m3 d’eau, dont une réserve de 30 000 m3 pour l’irrigation. Ce volume d’eau m’a permis de sécuriser la production du maïs fourrage lorsque j’étais éleveur. Aujourd’hui je m’interroge sur la meilleure façon de valoriser ce volume. Je ne veux pas rendre mon système dépendant de l’irrigation. J'adapte l’irrigation à un objectif de rendement plus faible : je consomme annuellement 20 000 m3 pour 15 ha de maïs.
Le binage, première technique de maîtrise des adventices
Culture de blé semé à 25 cm d'écartement
© Agence de l'eau Loire-Bretagne
Le type de sol et la nature des adventices influencent les techniques culturales en bio. Dès ma conversion, j’ai choisi d’assoir mon système sur le binage de toutes les cultures pour maîtriser les mauvaises herbes, en substitution au désherbage chimique. Je combine autoguidage du tracteur par satellite à un guidage de la bineuse par caméra pour une meilleure précision du binage. Je limite autant que possible le labour. Les semis d’automne sont retardés à fin novembre début décembre. Outre le matériel spécifique, j’utilise du matériel classique de préparation de sol (déchaumeurs à disques et à dents) et de semis (combiné herse rotative avec rampe de semis) et je limite autant que possible les labours. Les semis d'automne sont retardés à fin novembre début décembre. Je sème les céréales à un écartement de 25 cm en bouchant un rang sur deux, ce qui me permet de biner la culture une grande partie de l’année. Je complète mon désherbage mécanique avec plusieurs passages de herse étrille pour limiter les adventices sur le rang. En rattrapage je passe l’écimeuse pour couper les adventices qui dépassent de la culture et éviter leur montée en graine.
Bineuse 6 m avec autoguidage par caméra
© Agence de l'eau Loire-Bretagne
J’ai bénéficié de subvention dans le cadre des appels à projets régionaux « Plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles ». Je me suis volontairement suréquipé avec du matériel en 6 m pour augmenter mon débit de chantier sur les créneaux favorables d’intervention. Certains investissements sont faits en coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA).
Les couverts végétaux, sources d'azote
Trouver des sources d’azote homologuées est un facteur limitant en agriculture biologique. Avec l’arrêt de l’élevage, sur mon exploitation, je recherche des sources d’apports organiques. J'échange de la paille contre du fumier avec des éleveurs bio voisins de vaches et de porcs. Je généralise les couverts végétaux, sources d’azote, qui structurent le sol.
Démonstration avec un rouleau hacheur
Destruction tardive d'un couvert végétal multi-espèces
février 2020
© Alexis Ingrand
Je sème un mélange de légumineuses en mars, dans les céréales implantées en hiver. Je le conserve en place après la moisson de la céréale jusqu’au printemps suivant. Je sème à la volée et enterre légèrement la graine avec le passage de la herse étrille. Je fais des essais de semis de luzerne entre-rang des céréales avec un nouveau-semis d’une céréale à l’automne suivant. L’objectif est de laisser la luzerne en place trois ans. En sortie d’hiver, j’ai essayé la destruction du couvert avec le passage d’un rouleau scalpeur.
Une exploitation viable en perpétuelle adaptation.
Au moment de ma conversion, beaucoup de confrères agriculteurs avaient des doutes. Aujourd’hui mon système est viable et m’offre une certaine sécurité, avec les prix garantis actuellement. Je reste vigilant sur l’augmentation des charges avec la hausse du coût des semences et de la matière organique.
Mon exploitation évoluera avec les projets de mes enfants. Mon fils développe une activité de maraichage sur 2 ha avec vente sur des marchés. Nous avons initié une démarche de plantation de haies en limite de propriété pour reconstituer un corridor écologique.
Olivier Caillé
© Agence de l'eau Loire-Bretagne
« Fabrice Briand est l’un des premiers agriculteurs, sur l’aire d’alimentation des captages d'eau potable de la vallée de la Courance, à se convertir à l’agriculture biologique. Une quarantaine de fermes ont suivi. En 10 ans, la surface consacrée à l'agriculture biologique passe de 1% en 2008 à plus de 23 % de la surface agricole utile, soit près de 3 000 ha sur le bassin des captages.
Cette dynamique de conversion est notamment permise par l’accompagnement individuel et collectif des agriculteurs mis en place, depuis 2010, en partenariat avec Agrobio Deux-Sèvres et Bio Nouvelle Aquitaine dans le cadre du contrat territorial Re-Sources. Elle est facilitée par différents facteurs : le potentiel moyen des terres autour de 65 quintaux/ha en blé, les terres de groies majoritaires, des terres argilo-calcaires sans excès d’eau où le désherbage alternatif de printemps est facilité, l’esprit collectif des agriculteurs du secteur, des filières de collecte "agriculture biologique" organisées...
Le service des eaux explore aussi la possibilité de développer la production de luzerne de qualité pour la valoriser localement dans les élevages caprins et bovins. L'introduction et la commercialisation de la luzerne permettrait de mieux sécuriser les systèmes bio. Reste à trouver des agriculteurs motivés pour s’engager dans un projet collectif. »
Olivier Caillé, chargé de projet « protection des ressources en eau », service des eaux de la vallée de la Courance / Communauté d’agglomération du Niortais